Notre équipe a eu la chance d’interviewer le Dr. Emmanuelle van Erck, vétérinaire équin spécialisée en médecine interne sportive, sur le sujet des hémorragies pulmonaires chez les chevaux de course. Cette pathologie touche de nombreux chevaux de course, et sa détection peut parfois être compliquée. En effet, les symptômes sont le plus souvent dits sub-cliniques, c’est à dire invisible à l’oeil nu.
“Seulement 5% des chevaux qui ont eu une hémorragie pulmonaire en course ont saigné au niveau des naseaux. Cela signifie que les 95% restants ont eu du sang uniquement dans les voies respiratoires, invisible extérieurement.”
Pourriez-vous définir ce qu’est une hémorragie pulmonaire chez le cheval ?
Les hémorragies pulmonaires correspondent à un saignement au niveau du poumon du cheval. Elles se produisent généralement chez les chevaux réalisant des efforts intenses, tels que les chevaux de course et de CCE, mais peuvent également toucher, de manière plus rare, d’autres disciplines comme le saut d’obstacle ou l’endurance.
En théorie, les hémorragies pulmonaires se déclenchent lorsqu’il y a une hypertension importante au niveau des vaisseaux sanguins dans les poumons. Ces vaisseaux éclatent, provoquant alors une sortie de sang au niveau du poumon. Ce n’est pas douloureux pour le cheval, mais la présence de sang en nature dans les poumons peut être très oxydante, cela peut conduire à une inflammation secondaire.
À plus long terme, des saignements répétés peuvent avoir des conséquences négatives sur la capacité respiratoire du cheval, ce qui peut se traduire par une baisse progressive de la performance.
Si les hémorragies pulmonaires ne sont pas détectées, peuvent-elles devenir dangereuses ?
De manière générale, l’hémorragie pulmonaire n’est pas dangereuse. On constate que, lorsqu’un cheval meurt subitement en course avec des signes d’hémorragies pulmonaires, d’autres problèmes de santé sont souvent associés.
Le poumon peut être considéré comme le thermomètre de l’état général de santé du cheval. Les hémorragies pulmonaires peuvent être la conséquence d’une inflammation ou encore d’une lésion au niveau du poumon. Mais elles peuvent aussi se produire dans d’autres circonstances. Par exemple, dans le cas des arythmies cardiaques, lorsque le sang ne circule pas de manière fluide dans le corps, il peut y avoir d’importantes augmentations de la pression dans les vaisseaux sanguins, ce qui peut causer des hémorragies. On a également pu constater que les chevaux d’obstacle (course) ou les chevaux qui travaillent sur des sols durs ont une fréquence plus élevée d’hémorragie pulmonaire.
Les hémorragies pulmonaires affectent-elles à la fois les voies respiratoires et les voies cardiaques ?
Effectivement, elles affectent les voies respiratoires mais également les voies cardiaques, car elles se déclenchent au niveau de la barrière alvéolo capillaire, qui est la fine membrane qui délimite le système respiratoire et le système vasculaire. Le rôle de cette membrane est de faire passer l’oxygène du poumon vers la circulation sanguine.
C’est donc cette membrane qui se déchire lors d’une hémorragie ?
En effet, elle peut être soumise à des variations de pression très intenses, avec la pression sanguine ou les pressions négatives du côté respiratoire.
Prenons l’exemple d’un cheval qui a un cornage (paralysie de la gorge). Ce dernier a donc des difficultés à faire circuler l’air correctement car le diamètre de ses voies respiratoires supérieures est réduit. Au moment auquel il prend son inspiration, son système respiratoire doit développer des pressions beaucoup plus négatives pour pouvoir faire passer la même quantité d’air qu’un cheval sans pathologie. Cette pression négative a donc un effet direct sur la membrane du poumon c’est-à-dire la membrane alvéolo capillaire. On peut en déduire que les hémorragies pulmonaires peuvent être favorisées par l’obstruction des voies respiratoires supérieures.
De l’autre côté, cette barrière est aussi affectée par la pression sanguine. Si la pression dans la circulation sanguine augmente, surtout au niveau pulmonaire, on a le phénomène suivant : quelque chose tire du côté respiratoire et pousse du côté cardiovasculaire. C’est sous l’effet de ces forces de tensions contraires que la membrane peut se déchirer.
Quels sont les symptômes, clinique et sub-clinique, des hémorragies pulmonaires ?
Seulement 5% des chevaux qui ont eu une hémorragie pulmonaire en course ont saigné au niveau des naseaux. Cela signifie que les 95% restants ont eu du sang uniquement dans les voies respiratoires, invisible extérieurement.
Les autres symptômes apparaissent généralement entre 30 et 90 min après l’effort. Si l’on fait une endoscopie de la trachée, on peut constater, dans seulement 25% des cas la présence de sang en nature. Pour les 75% restants, il faut faire un lavage broncho-alvéolaire, qui correspond à un prélèvement respiratoire au niveau pulmonaire, et qui est la solution la plus fiable pour établir un diagnostic.
Le vétérinaire insère une petite quantité de sérum physiologique stérile dans les voies respiratoires et dans le poumon. Après l’avoir récupéré, ce liquide est mélangé avec les cellules pulmonaires. Cela nous permet de retrouver des traces de saignement.
Le nettoyage des poumons s’effectue grâce à des cellules appelées macrophages. Ces dernières « mangent » tout ce qui est présent dans le poumon, y compris les globules rouges. Au cours de la digestion, ces macrophages changent d’aspect, un peu comme les hématomes qui changent de couleur au fil du temps. C’est la même chose pour les macrophages : l’aspect du pigment de l’hémoglobine des globules rouges change et se concentre au fur et à mesure. Nous pouvons alors dater approximativement les épisodes hémorragiques. Ce qui est intéressant avec ce prélèvement, c’est que nous allons pouvoir vérifier s’il y a eu un saignement, mais également s’il y en a eu dans le passé. Nous pouvons donc avoir une idée de l’état du poumon et donc de la capacité respiratoire du cheval.
“En monitorant des chevaux qui ont déjà saigné, EQUIMETRE peut, à l’aide de données, nous indiquer si le cheval a retrouvé une capacité athlétique normale ou s’il est encore handicapé par des saignements antérieurs ou par autre chose.”
Pouvez-vous nous parler des facteurs de risque ?
Pour information, le cheval a une tension artérielle beaucoup plus élevée que celle de l’Homme, puisqu’elle est naturellement 4 fois plus importante ! Les hémorragies pulmonaires chez les humains se produisent donc de manière plutôt rare, alors que ce phénomène est fréquent chez les chevaux.
Il existe 5 principaux facteurs de risque :
- L’obstruction des voies respiratoires supérieures, car le cheval développe des pressions plus négatives
- L’inflammation des voies respiratoires profondes, c’est-à-dire du poumon, car cela va irriter la barrière alvéolo capillaire qui sera plus propice au déchirement.
- Les arythmies cardiaques ou les importants problèmes cardiaques
- Les douleurs locomotrices comme les boiteries
- L’utilisation d’anticoagulant (héparine ; aspirine) qui sont des médicaments utilisés comme anti-inflammatoires et qui ont des effets anticoagulant prolongés. Même si les médicaments sont utilisés lors de la durée recommandée pour être négatif au control antidopage, ils peuvent tout de même avoir des effets anticoagulants qui peuvent favoriser les hémorragies lors d’un effort intense.
L’utilisation d’un capteur comme EQUIMETRE, avec le monitoring de la fréquence cardiaque, peut-elle permettre de détecter des symptômes en amont ?
Un outil comme EQUIMETRE peut mettre en évidence les facteurs de risque des hémorragies pulmonaires. Par exemple, les douleurs liées à l’appareil locomoteur, les problèmes respiratoires et les arythmies cardiaques peuvent favoriser les hémorragies. EQUIMETRE permet de monitorer toutes ces données.
Grâce à l’enregistrement de l’électrocardiogramme, nous allons pouvoir analyser si le cheval est resté longtemps en aérobie et également quantifier sa récupération, ce qui peut nous donner une idée de s’il y un problème respiratoire.
Concernant la locomotion aussi, nous allons pouvoir regarder si ses paramètres se dégradent, ce qui peut être un signe de douleur, facteur favorisant les hémorragies.
L’EQUIMETRE ne permet pas de faire un diagnostic tout noir ou tout blanc, mais il peut réellement mettre en évidence des indicateurs de facteurs de risque.
En monitorant des chevaux qui ont déjà saigné, EQUIMETRE peut, à l’aide de données, nous indiquer si le cheval a retrouvé une capacité athlétique normale ou s’il est encore handicapé par des saignements antérieurs ou par autre chose. Cela peut être un moyen intéressant de voir si le cheval est prêt à reprendre un travail plus intense.
Un cheval qui a eu une hémorragie pulmonaire est-il prédisposé à en avoir à nouveau ?
Lors de la cicatrisation, le tissu se reconstitue de manière un peu différente, et est donc en conséquence un peu moins élastique. C’est d’ailleurs la même chose lors d’une tendinite : le tendon est moins élastique lorsqu’il a cicatrisé et c’est le même phénomène au niveau pulmonaire. Comme le poumon se remplit d’air de manière plus efficace lorsqu’il arrive à se dilater convenablement, une perte d’élasticité peut se traduire par une perte de la capacité respiratoire. Il est donc essentiel de pouvoir traiter les chevaux le plus rapidement possible.
Comment les hémorragies pulmonaires sont-elles traitées ?
Dans un premier temps, il faut trouver et éliminer le facteur qui cause les hémorragies.
Il faut adapter son traitement en fonction de si le cheval souffre par exemple d’une obstruction des voies respiratoires supérieures, d’une inflammation pulmonaire, ou encore d’une douleur locomotrice. Si la pathologie qui cause les hémorragies n’est pas soignée, elles ne disparaîtront pas.
Une fois la pathologie éliminée, il est possible d’optimiser la cicatrisation du poumon avec des médicaments de type anti-inflammatoire et, si nécessaire, avec des antibiotiques dans le cas d’infections secondaires.
Pour que la cicatrisation se fasse dans les conditions les plus favorables, on peut également donner des compléments alimentaires, comme la vitamine E qui aide le poumon à cicatriser de manière plus élastique.
Il est important de rappeler que les hémorragies sont un symptôme d’une autre anomalie, mais lorsqu’elles se produisent de manière répétée, elles deviennent maladie en affectant l’intégrité pulmonaire et la capacité respiratoire du cheval.
Est-il possible de prévenir les risques d’hémorragie ?
En effet, tout ce qui favorise la santé du système respiratoire du cheval est bénéfique.
Afin d’optimiser la santé respiratoire du cheval, plusieurs mesures peuvent-être appliquées :
- Garder ses chevaux dans des conditions environnementales propices notamment en réduisant au maximum la poussière.
- Travailler sur des terrains et pistes d’entraînements qui sont rebondissantes afin d’éviter les chocs trop violents
- Garder les voies respiratoires saines avec des solutions comme l’inhalation de sérum physiologique ou de substances assainissantes.
- Utiliser des stripes sur le nez du cheval pour optimiser l’ouverture des voies respiratoires. Cette solution réduit la sévérité des hémorragies pulmonaires, sans les empêcher complètement.
Évidemment, il ne faut pas hésiter à faire examiner son cheval en cas de doute.
Des mesures particulières sont-elles mises en place concernant les hémorragies et la santé des chevaux de course ?
Les hémorragies pulmonaires peuvent se produire lors d’efforts intenses brefs, comme un parcours de saut d’obstacle pour un cheval de sport. Sur les chevaux de course c’est quelque chose de relativement fréquent.
Les différentes instances de course réagissent différemment. Par exemple, aux États-Unis, ils avaient le droit d’utiliser un médicament (le Lasix) pour réduire la pression pulmonaire, et qui le déshydrate fortement. Cette approche qui autorise les traitements en amont va progressivement être interdite aux États-Unis, et est déjà considérée comme du dopage en Europe ou en Australie.
En comparaison, le Hong Kong Jockey Club a déjà établi des règles très strictes au sujet des chevaux qui ont eu des saignements. Au premier saignement, le cheval est interdit de course pendant 1 mois et est dans l’obligation de passer un examen vétérinaire et dans le cas où il saigne à nouveau, il a l’interdiction de courir pendant 6 mois.
Chaque pays à ses propres mesures, mais en ce qui concerne la France il n’y a pas de règles aussi strictes.
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