Jérôme Reynier est l’un des premiers et plus fidèles utilisateurs d’EQUIMETRE en France. Après une victoire époustouflante de son pensionnaire Skalleti, Jérôme Reynier a accepté de revenir avec nous sur l’histoire de ce cheval, son entraînement, ses défis au quotidien. L’entraîneur marseillais nous livre au passage quelques méthodes d’analyse EQUIMETRE qu’il utilise pour suivre les performances de ses chevaux au quotidien sur les pistes du centre d’entraînement de Calas.
Arioneo : Bonjour Jérome, avant tout, félicitations de la part de toute l’équipe pour la victoire de Skalleti dans le prix Exbury ! Comment as-tu appréhendé cette course et comment analyses-tu cette performance ?
Jérome : Skalleti est un cheval de 6 ans avec lequel nous avons parcouru beaucoup de chemin. Il a débuté à Nîmes où il a démontré de bons moyens. Jeune, il était assez compliqué, donc nous l’avons beaucoup respecté au début de sa carrière en lui donnant des tâches faciles pour lesquelles il a toujours répondu présent. Il a gagné ses trois premières sorties qui nous ont convaincus de le sortir au grand jour, et de le tester dans une Listed. Ce jour-là, lors du Grand Prix de la Riviera à Cagnes-sur-Mer, tout est allé de travers. Dès le pré-rond, un cheval lâché l’a énervé. Au rond de présentation, il était très nerveux et son canter d’essai n’a pas été optimal. Dans la boîte il a complètement perdu patience, en course, il a tiré et a anéanti ses chances. Mais malgré cela, même s’il avait tout fait à l’envers, même s’il n’avait pas pu s’oxygéner pendant son parcours, je n’avais jamais vu un cheval finir avec une telle action. Cette action finale m’a beaucoup impressionné.
Il a donc fallu tout reprendre de zéro afin de le rassurer après cette expérience. Heureusement, le cheval nous a pleinement donné raison puisqu’il a gagné dans une course à conditions à Chantilly puis a confirmé ensuite à Longchamp avec une belle performance en s’étant déferré d’un antérieur ! Derrière il a gagné le Grand prix Marseilles-Vivaux, puis le prix Jacques de Bremond, le prix Quincé, ensuite il a gagné le prix Dollar et il a gagné pour terminer son année de 4 ans le prix de Roma à Rome. Tout cela avec un laps de temps d’un mois et demi entre ses courses pour s’assurer qu’il redescende bien en pression et pour avoir le temps de le remonter gentiment.
Il a ensuite fait son année de 5 ans en 2020 avec les difficultés de cette année particulière qu’on connait, et un confinement qui l’a empêché de courir pendant un peu plus de 6 mois. Skalleti a fait des rentrées sur des distances plus courtes car on savait qu’il allait être très allant et c’est ce qu’il a montré le jour de sa rentrée. Cette course de rentrée a été elle aussi très compliquée, malgré le fait qu’il était plutôt calme avant la course. Mais quand les boîtes se sont ouvertes et qu’il s’est retrouvé sur le gazon il a voulu en découdre trop vite. Pierre-Charles l’a respecté, pour juste faire la ligne droite aux bras. Il avait tiré et consommé beaucoup d’énergie pendant le parcours, mais il avait terminé en avançant et fait une belle ligne droite. On savait que le jour où on allait l’avoir détendu ça allait être un tout autre cheval et c’est ce qu’il a montré en gagnant le prix Gontaut-Biron en battant Sottsass et derrière le deuxième prix Dollar. On a tenté l’aventure à deux semaines en Angleterre dans les Champions Stakes et il s’est très bien comporté en prenant la deuxième place.
Ensuite on s’est un peu enflammés : on a voulu tenter l’aventure à Hong Kong et c’est vrai qu’on a revécu un peu le scénario catastrophe de Cagnes-sur-Mer. Il a fallu faire 30 minutes de camion avant la course et on l’a perdu, il était très énervé, anxieux. Le rond de présentation est impressionnant à Sha Tin. La piste était très ferme, il a raté son départ. On est tombés sur une édition qui s’est déroulée à un rythme très peu soutenu donc il a tiré et à ce niveau-là, cela ne pardonne pas. Il n’était pas en mesure de fournir sa pleine valeur et son arrivée a été assez décevante. Malheureusement, ce n’était pas une bonne expérience, ni sur le plan sportif, ni sur le plan humain car les conditions étaient particulières. Des choses que l’on voulait oublier au plus vite pour Skalleti ! On l’a toujours dans nos mémoires, mais lui il nous a rassurés hier en nous prouvant qu’il avait déjà tout oublié en redevenant le Skalleti qu’on connait.
A : Quel parcours ! Son stress semble être un facteur assez clé, fondamental pour sa performance. Comment gères-tu sa nervosité au quotidien ? Quels sont tes plus gros défis au travail ?
J : Il était beaucoup plus stressé étant jeune. J’ai dû mettre en place une certaine routine de laquelle il ne fallait surtout pas sortir. Il a son rond en bas. Nous avons trois ronds pour marcher avant de monter au canter et il fallait impérativement qu’il soit dans son rond sinon il était perturbé. Il fallait impérativement qu’il sorte au premier lot parce que s’il sortait au deuxième et qu’il voyait des chevaux partir au premier lot ça l’inquiétait et il s’énervait dans le box. On faisait alors tout en fonction de lui pour l’aider à garder son calme dans cette routine qui lui convenait très bien. En vieillissant il s’est assagit. Aujourd’hui Skalleti arrive à sortir au deuxième lot sans poser de problème. Il peut tourner dans un autre rond, ça ne lui plait pas forcément mais il arrive à se doser et à mieux gérer son influx qu’auparavant. C’est pour cela qu’effectuer une rentrée sur 2000m à 6 ans ne m’inquiétait pas trop puisqu’il est devenu beaucoup plus gérable. On sent qu’il a pris de la maturité et hier il s’est bien comporté. Grâce à Arioneo on voit que c’est vraiment un métronome, il a toujours la même amplitude, la même récupération, il arrive à nous fournir des valeurs d’entraînement qui sont très similaires. Les mois passent, les années passent, ça reste le même Skalleti, ce qui nous donne toute confiance pour retourner aux courses, même avec quelques mois sans courir et y compris avec une période de convalescence qui a été assez importante après Hong Kong. Cela se voit vraiment sur les données : on prépare le cheval avec une grande régularité, pas de travaux rapides, juste des canters d’entretien qui sont quand même assez poussés. Et après trois ou quatre mois d’inactivité il peut revenir et être le vrai Skalleti qu’on connait.
A : Un vrai métronome qui a besoin de constance. Tu utilises donc les données EQUIMETRE pour conforter ton feeling sur sa régularité, notamment lorsque tu as une échéance en tête. Peux-tu nous décrire ses données sur un entraînement type et nous expliquer comment tu organises la collecte de données pour Skalleti ?
J : Nous avons différents côtés d’entraînement sur les pistes de Calas. Le samedi, comme sur cet entraînement le 6 mars (le dernier avant l’Exbury ndlr), c’est un côté qui est assez sélectif, c’est intéressant. L’effort se fait sur un faux plat et pour avoir un comparatif, j’utilise le même côté pour avoir les mêmes références. Bien sûr, selon la météo, la profondeur de la piste en sable varie quelque peu et c’est sûr que les données ne semblent pas exceptionnelles car on n’est pas sur une piste plate ou sur une piste de course très rapide. On est sur une piste en sable, qui est assez profonde et qui monte. On dépasse rarement les 60 km/h mais ces entraînements qu’il fait en faisant presque la minute au kilomètre sur 600/800m cela suffit pour le garder en forme et l’entretenir au fil des semaines. On augmente donc gentiment l’intensité au fil des semaines et quand il arrive à une récupération excellente, c’est-à-dire qu’après 15 minutes il est redescendu en dessous de 100 BPM et que l’on voit un cheval qui monte au fil de ses canters physiquement et mentalement, on est rassurés.
A : En effet, ici ses données de récupération sont excellentes, il atteint 218 BPM, sa FC max (Fréquence Cardiaque maximale) en même temps que son pic de vitesse. Et dès qu’il commence à décélérer, on voit tout de suite que sa FC baisse en même temps. À l’instant même où il repasse au pas, il est presque redescendu en dessous des 100 BPM. Ça c’est vraiment une récupération d’un cheval de groupe. Je note aussi que souvent sa récupération à 15 minutes est moins impressionnante, comment l’expliques-tu ?
J : Oui, en fait c’est une question environnementale. Lorsqu’il termine son travail, il est toujours dans le contexte de la piste d’entraînement, il ne revient pas tout de suite à l’écurie. Et il y a tout un long chemin, une longue promenade, pour retourner aux écuries. Quand il marche et qu’il voit les autres chevaux passer au canter ça peut le monter en pression et il ne se relâche pas vraiment avant de revenir dans son rond à l’écurie. Il reste donc assez réveillé après ses canters et tant qu’il n’est pas revenu à l’écurie et qu’il sait qu’il va retourner au box il ne redescend pas complètement.
A : Confronter les données aux ressentis terrain est toujours la partie la plus intéressante de l’analyse des données. En effet, on constate que dès qu’il arrive au box la FC tombe, il repasse immédiatement à 50 BPM, sa fréquence cardiaque au repos. En passant sur une analyse longitudinale de ses données, son côté métronome est flagrant ! Peux-tu nous le commenter ?
J : Son cavalier le connait par cœur, c’est toujours le même cavalier qui le monte. On a un entraînement très spécifique à faire avec lui. Le cavalier a vraiment le chrono dans la tête, puisqu’il connait son cheval. Il lui demande de répéter le même entraînement, continuellement, quand on le teste. C’est certain que je ne lui mets pas EQUIMETRE pour faire des petits canters ou des petits galops de chasse, ça ne m’apporte pas beaucoup pour un cheval comme lui. Au contraire pour les deux ans, je teste la progression sur des petits canters à des allures de 45-50km/h. Mais là, on a un cheval qui a un niveau de fitness optimal et c’est seulement en montant un peu dans le rouge qu’on arrive à le tester pour se rendre compte de son degré de récupération. C’est vrai que son cavalier est assez fort pour pouvoir répéter continuellement le même entraînement pour avoir des données sur lesquelles on peut se référer. Comparativement, c’est assez exceptionnel de retrouver ce métronome au fil des semaines, des mois et des années.
A : Sa régularité est impressionnante ! On retrouve par exemple les entraînements du 6 mars 2021 et du 7 mars 2020. C’est exactement le même travail, mot pour mot, c’est extraordinaire. Les meilleurs temps sont exactement les mêmes.
J : Cette année on le préparait pour l’Exbury. L’année dernière nous le préparions pour le prix de l’Edmond Blanc, sur 1600m, mais malheureusement avec le confinement on n’a pas pu courir ce qui était assez frustrant car on pensait avoir le cheval plutôt prêt. J’avais peur que les 2000m à 5 ans, ce soit trop long et donc je voulais m’assurer qu’il ne tire pas pour sa rentrée. Le prix devait se disputer juste après le début du confinement donc malheureusement nous n’avions pas pu le présenter. On a donc attendu un peu plus tard pour avoir des groupes sur 1600m au mois de Juin.
A : Dommage en effet. L’intérêt de garder des traces des entraînements c’est que tu as une photo des données à un instant T de l’état de fitness du cheval que tu peux corréler avec les résultats en course. Cet entraînement du 6 mars 2021 a donné les performances que l’on connaît sur l’Exbury : pour toutes les prochaines courses de ces conditions, tu as les données que tu veux attendre du métronome Skalleti…
J : Ah oui complètement. C’est vraiment une valeur d’entraînement sur laquelle on peut s’appuyer surtout que certains des paramètres ont changé. Nous avons changé sa ferrure, il est passé de fers cloués à fer collés. On a vu par exemple qu’il y avait une petite perte d’amplitude entre 2020 et 2021 mais c’est normal, c’est un cheval qui est un peu en train de vieillir et il n’a plus sa souplesse d’antan. Cependant il arrive à compenser et garde son niveau de performance.
A : On voit en effet que par rapport à son amplitude maximale il a perdu 10 cm depuis l’année dernière mais ce n’est pas forcément gênant car il compense en augmentant sa cadence. Après une course pareille, comment doses-tu le retour à l’entraînement ? Comment organises-tu le travail entre tes courses pour assurer une récupération optimale puis retrouver un bon état de fitness ?
J : La plupart des chevaux court environ une fois par mois. Donc cela laisse le temps d’avoir une semaine ou dix jours de récupération profonde. Moi je leur fiche la paix en les gardant au trotting, galop de chasse et j’attends qu’ils veuillent reprendre le travail. Tant qu’ils n’ont pas d’eux-mêmes retrouvé un peu de fraicheur, on attend pour les canters. La reprise se fait généralement une semaine ou dix jours après, en fonction des chevaux. Pour Skalleti, qui a l’objectif du prix Ganay le 2 mai, on a 1 mois et demi. Donc on peut en jouer un peu en faisant une récupération de deux semaines entières calmes. Je sais toutefois qu’il va très vite avoir une accumulation de fraicheur où il va redemander de retourner sur le canter. En l’écoutant, on le reprendra gentiment. Pour conclure, je me base vraiment sur le cheval, son état d’esprit, son physique et sa motricité, c’est lui qui fait que l’on reprend le travail. Ensuite, il fera deux vrais canters par semaine. Le mercredi et le samedi. C’est vrai que le samedi j’aime bien l’équiper d’Arioneo pour avoir un point d’appui en plus de l’opinion de son cavalier qui le connait par cœur et de mon œil qui commence à bien le connaitre puisque je l’observe maintenant depuis plusieurs années. C’est très utile de pouvoir se référer à des données chiffrées et confirmer ce que l’on pense du cheval.