Les courses hippiques sont l’un des plus vieux sports de l’histoire. Victime du carcan traditionnel dans lequel s’inscrit ce sport et des nombreuses règles et idéaux qui évoluent, force est de constater que ce secteur rencontre de plus en plus de difficultés à s’adapter, à rayonner et à évoluer. Mais quelles sont les forces et faiblesses du secteur hippique ?
Une image ternie par une mauvaise réputation
L’enjeu du bien-être animal
Le débat sur le droit des animaux n’est pas nouveau. En effet, Pythagore s’érige en philosophe du droit des animaux dès le XIXème siècle. La première loi de protection animale apparaît au Royaume-Uni en 1822 et la Société Protectrice des Animaux (SPA) naît en France en 1845. Cependant, ce n’est qu’en 1978 qu’est proclamée la Déclaration universelle des droits de l’animal à la maison de l’UNESCO.
La fin du XXe siècle marque un tournant, notamment dans le secteur hippique. La notion d’éthique du cheval naît dans les années 70 dans les pays anglo-saxons. Ce champ de réflexion philosophique autour du cheval remet en question le comportement humain envers cet animal. Il inclut des questionnements quant aux choix d’élevage, de détention, d’utilisation sportive et de fin de vie, en relation étroite avec la notion de respect et de bien-être du cheval. Ainsi, certains condamnent l’instrumentalisation des chevaux pour le plaisir des parieurs, des entraîneurs, des spectateurs et plus généralement des hommes. On observe notamment une division dans la perception du sport hippique. En effet, dans une étude australienne menée par Iris M. Bergmann, les mêmes photos de chevaux de courses à l’hippodrome ont été montrées à des personnes de l’industrie et à des activistes animaliers. Il en ressort que si les dirigeants de l’industrie des courses peuvent considérer qu’il est naturel pour un cheval d’avoir l’air impatient lorsqu’il s’éloigne avec excitation d’un cavalier le tenant par la bride et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, les défenseurs des animaux ne sont pas d’accord. Pour eux, le comportement du cheval est une cause de conditions non naturelles et une expression de stress ou de douleur. Et tant que la nature du cheval n’est pas prise en considération, ils estiment que les courses hippiques manquent de respect pour les chevaux et menacent considérablement leur bien-être.
De plus, les courses hippiques peuvent apparaître comme un sport brutal auprès du grand public. En effet, Lola Quitard, directrice du Conseil Des Chevaux de Normandie témoigne : “L’usage de la cravache et des enrênements donne une image rude. J’invite tout défenseur de la cravache à emmener 30 enfants au poteau d’arrivée. Je lui souhaite bonne chance pour expliquer que ce n’est pas mal. Quand bien même ce serait justifié scientifiquement, ce n’est pas transmissible, on n’aurait jamais le temps d’expliquer pour déconstruire cette image-là.” À cette image violente s’ajoutent les polémiques sur le dopage, les questionnements sur le jeune âge auquel les chevaux de course commencent l’entraînement, le conditionnement des chevaux vivant dans des boxes alors qu’ils sont de nature à vivre en troupeau, en extérieur et enfin le nombre de décès dans les hippodromes.
Tous ces éléments ternissent l’image de ce sport et les remises en question sont d’autant plus présentes en raison de la montée du véganisme et des revendications antispécistes. Dans une des interviews que nous avons réalisées, Olivier Delloye, CEO de France Galop depuis 2016, confirme la menace qui pèse sur l’avenir des courses : “Cette image risque de devenir plus problématique dans les années qui viennent. Il y a clairement un énorme sujet autour du bien-être et de l’image de notre sport sous cet angle-là”.
Le pari, terni par une image de dépendance et d’addiction
En ce qui concerne le pari, Olivier Delloye souligne également que “L’image qui peut nous faire un peu de mal sur un public un peu large, un peu familial, c’est l’assimilation au pari qui peut provoquer un vrai rejet sur une certaine partie de la population”. En effet, malgré un succès du jeu, les paris hippiques jouissent d’une assez mauvaise réputation à travers le monde.
Tout d’abord, les jeux d’argent ne sont culturellement pas acceptés par de nombreuses religions. Les religions chrétiennes, juives et musulmanes perçoivent comme un péché le fait de gagner de l’argent par le fruit du hasard, sans réaliser un véritable effort. En 2009 par exemple, l’attaquant malien du FC Séville, Frédéric Kanouté avait refusé de porter le maillot de son équipe de football en raison du sponsor placardé dessus. De confession musulmane, l’ancien Lyonnais jugeait incompatible sa foi religieuse avec un sponsor de jeux de hasard et de paris sportifs. Il y a donc un premier rejet du pari qui est d’ordre culturel.
Le second rejet est d’ordre éthique. Les risques d’addictions sont souvent pointés du doigt. L’addiction aux paris sportifs correspond à une situation dans laquelle une personne ne peut pas s’empêcher de parier des sommes d’argent et dont les conséquences sont dangereuses pour sa santé. L’addiction aux jeux d’argent est reconnue telle une maladie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). L’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) souligne qu’en 2019, 4,2% des parieurs hippiques français avaient développé une addiction à cette pratique.
Un monde à l’apparence exclusive et réservé à une élite
Enfin, depuis l’époque homérique, posséder, monter et dresser des chevaux constitue le signe distinctif de l’appartenance à une élite politique et économique des cités grecs. Dans l’art, dans les statuts, dans le cinéma, et partout ailleurs, l’hippodrome est lié à la culture aristocratique.
Ainsi, l’appartenance traditionnellement aristocratiques des propriétaires de chevaux et de la gouvernance des institutions (Pinçon et Pinçon Charlot, 2001) caractérise l’univers des courses et favorise l’entre-soi. Cette image est d’autant plus marquée qu’elle continue d’être dessinée à travers les évènements : champagnes, tenues élégantes, loges VIP sont toujours de mise à l’hippodrome de ParisLongchamp pour le prix de l’Arc de triomphe. Par conséquent, être propriétaire n’est pas perçu comme un statut accessible à tous : l’investissement financier supposé par le monde des courses participe à créer une image de “sport de bourgeois”.
Un rayonnement en déclin
Cette mauvaise image des courses hippiques nuit à l’attractivité du secteur : l’une des grandes faiblesses de l’industrie des courses est qu’avec le temps, elle peine à attirer du monde.
Le manque de communication et de transparence nuit à la popularité des courses hippiques
Malgré un chiffre d’affaires important, les courses de chevaux perdent en popularité comme en témoigne la diminution du volume de pari et la baisse de fréquentation des hippodromes. L’une des premières explications de ce manque d’attractivité réside dans l’absence de visibilité de la discipline. En effet, les courses hippiques sont généralement un sport peu ou mal connu. À titre d’exemple, il est facile de citer une star du tennis ou du football quand bien même on ne suit pas ce sport, pourtant il reste difficile pour quelqu’un d’étranger aux courses hippiques de citer un jockey ou un cheval connu. Il n’existe pas de vedettes à qui s’identifier.
Cette situation n’est pas seulement le résultat d’un passé dont l’industrie a du mal à se défaire, mais c’est aussi le résultat d’une stratégie qui n’est pas adaptée. La visibilité médiatique est moindre, mais c’est aussi en raison d’un manque de modernité dans l’organisation des courses hippiques. Didier Krainc, créateur et propriétaire de l’écurie Vivaldi, souligne que : “C’est un monde qui n’est pas entré dans la modernité, très traditionnel (…). Il n’y a aucun traitement moderne du spectacle.” En effet, les sports poussent de plus en plus vers le spectaculaire et tendent à s’adapter pour “mieux coller aux exigences télévisuelles” (Le Monde du 6-7 décembre 98) à travers par exemple la mise en place de tenues règlementaires à des fins esthétiques (kimono de couleur au judo, body pour les joueuses de volley-ball) ou des révisions des règles du jeu (réduction de la durée de match au volley et au pentathlon). À l’inverse, depuis la seconde guerre mondiale, les courses hippiques sont axées sur la vitesse au détriment de l’endurance : ainsi, la course ne dure que quelques minutes et à l’hippodrome, une majeure partie de la course se déroule hors de vue des spectateurs. À cela s’ajoute une stratégie d’ouverture presque négligée : les médias de l’industrie sont peu tournés vers l’extérieur et créent peu de contenu accessible aux novices.
Nicholas Nugent, directeur de Goffs : “Le problème c’est que c’est un sport qui se joue pendant deux minutes, puis il y a un entracte de 28 minutes, puis il y a deux minutes, puis un autre entracte. (…) Je pense donc qu’il faut vraiment réfléchir à comment gérer notre audience et le temps entre les courses, l’expérience des courses en direct est très importante”.
Un déclin de l’attractivité d’un point de vue professionnel
L’industrie souffre également d’un manque d’attractivité du point de vue des ressources humaines. En France, 25% des offres d’emploi en tant que cavalier d’entraînement de galop ne trouvent pas de candidat adéquat contre 11% en 2017. L’industrie est en tension en raison de la pénibilité du travail et de son manque de valorisation. Les journées commencent tôt, travailler dans une écurie de course requiert des ressources physiques et génère une grande fatigue. De plus, les salaires ne sont pas attractifs.
Freddy Powell, directeur général d’Arqana : “La faiblesse des courses aujourd’hui et son plus grand danger, c’est sa difficulté de recrutement en termes de personnel dû à sa pénibilité du travail. (…) On parle souvent du bien-être équin, il faut s’occuper d’eux c’est sûr, mais si on veut commencer par bien traiter nos chevaux, il faut bien traiter notre personnel. Et plus on aura de personnel qui a envie de travailler dans les chevaux, plus nos chevaux seront bien traités.”
Attirer des propriétaires de chevaux de course est aussi de plus en plus difficile, en raison de la baisse de popularité du sport mais aussi en raison des prix à gagner. Auparavant, les courses hippiques offraient des allocations valorisantes, parfois excédant les 50 millions de dollars. Par exemple, les gagnants du Derby d’Epsom rentrent avec l’équivalent de 371 792 dollars. En 2020 (aussi en raison du Covid), les prix ont été réduits de presque 6 millions de dollars au total pour les courses de plat du top 10.
Un manque d’accessibilité, à la fois d’un point de vue externe et interne
Une complexité externe
Du fait de sa complexité, le grand public peine à s’intégrer dans ce monde. Il existe différents types de courses (courses à réclamer, courses handicap, courses de groupe…), une multitude de courses avec un calendrier très rempli, une multitude de chevaux, de pistes, de cavaliers, de réglementations, d’hippodromes. Il peut être difficile de suivre ce sport malgré un intérêt exprimé. Ceci est également valable pour le pari : il y a plusieurs types de pari et plusieurs opérateurs. Un minimum de connaissances est recommandé pour pouvoir parier. Cela peut se révéler très fastidieux pour quelqu’un de novice.
“Le monde du cheval est un monde enfermé et tourné sur lui-même dans son organisation interne. Pour le grand public, une image de sympathie émane du cheval, mais il y aussi une image des courses où on ne sait pas trop ce qu’il s’y passe. C’est un monde un peu mystérieux. Pour moi, c’est une grande faiblesse” Didier Budka, direction de l’AFASEC pendant 19 ans.
Une complexité interne
Au sein même de la filière équine, l’industrie hippique conserve une image d’un secteur peu accessible. En effet, la population des amateurs de course est radicalement différente de celle des amateurs d’équitation (catégories socioprofessionnelles supérieures chez ces derniers, forte féminisation surtout chez les moins de 25 ans, pratique centrée sur la relation avec l’animal). La fracture entre ces deux disciplines démontre qu’au sein même d’un monde équin où la passion du cheval est partagée, une difficulté d’accessibilité du monde des courses hippiques persiste. La frontière entre équitation classique et course hippiques est bien présente.
Mais ce n’est pas tout, au sein même de la filière course, l’on observe une grande fracture entre le monde du trot et le monde du galop. Les courses de galop sont nées dans le monde de l’aristocratie anglaise tandis que les courses de trot ont une origine paysanne. Elles sont nées dans les fêtes villageoises à l’occasion de course de bidets. De plus, la structure de ces deux disciplines diffère grandement. Le monde du galop est caractérisé par une structure socio-professionnelle hiérarchisée, avec des positions bien marquées (éleveurs, propriétaires, entraîneurs, jockeys) tandis que le monde du trot est essentiellement rural et populaire, constitué de petites entreprises familiales et polyvalentes : le propriétaire peut être à la fois l’éleveur, l’entraîneur et le driver de ses chevaux. Ces fractures historiques, culturelles et socio-professionnelles persistent encore aujourd’hui. “Malheureusement, la mauvaise image des courses n’est pas que dans le grand public. Elle est aussi dans le secteur sport et loisirs de la filière. Il y a une très grande méconnaissance et même à l’intérieur des disciplines, vous pouvez entendre des discours délétères sur le trot chez un professionnel du galop.” Lola Quitard, directrice du conseil des chevaux de Normandie.
À ces différences s’ajoutent des différences culturelles géographiques. Comme expliqué précédemment, chaque pays a ses propres règles et il n’existe pas d’unicité ou d’uniformisation internationale autour du sport ou du pari. Freddy Powell souligne que pour travailler sur l’esprit de durabilité des courses, « Les institutions en France, les institutions dans différents pays doivent pouvoir se connecter pour comprendre ce qui peut être fait. (…) Je pense que trouver des solutions communes dans tous les pays est vitale. »
Ainsi, on peut être un acteur de l’industrie sans pour autant être entièrement intégré à ce monde complexe, qui diffère selon la discipline, la géographie, et la culture.
Comparaison par pays
France :
Bien que certaines faiblesses puissent être généralisées à la filière mondiale des courses hippiques, nous pouvons également en identifier des régionalisées. Par exemple, toute l’industrie hippique française repose sur les paris hippiques. En 2020, le montant total des enjeux enregistrés atteignait 7 801,7 millions d’euros (IFCE, annuaire ECUS 2021). 930,7 millions revient aux maisons mères, afin de contribuer au financement de la filière et des actions menées afin d’entretenir son attractivité. Il existe donc une forte dépendance d’un point de vue financier. Or, ces sources de financement tendent à se fragiliser : entre 2019 et 2020, le montant des enjeux enregistrés a diminué de 14,5%.
De plus, la culture des courses hippiques y est moins importante que dans d’autres pays. Être propriétaire d’un cheval n’est pas monnaie courante et est souvent synonyme de richesse en France, alors que cette pratique est bien plus démocratisée en Australie ou aux Etats-Unis où le multi-propriétariat se développe davantage.
UK :
Au Royaume-Uni, les allocations des courses représentent le point faible le plus important. Le sport est peu rentable. Par conséquent, il est difficile d’attirer des propriétaires et de nombreux entraîneurs courent leurs chevaux en France afin de gagner plus d’argent. En ce qui concerne les paris, c’est un secteur assez dérégulé en raison des bookmakers.
Dr. Newland, top 20 entraîneur du Royaume-Uni : « La plus grande faiblesse est notre difficulté à rendre l’activité économiquement saine et rentable. Nous savons que le propriétaire britannique obtient en moyenne un rendement d’environ 50% de la possession d’un cheval de course, ce qui ne pousse pas à investir. En comparaison, le retour est de 90% en France. La principale différence vient des paris où en France vous avez une institution qui peut rendre autant qu’elle le souhaite, tandis qu’au Royaume-Uni il y a une taxe, et nos bookmakers sortent de la juridiction britannique et ne reversent pas l’argent. »
Irlande :
L’industrie des courses hippiques irlandaise dépend fortement du Royaume-Uni d’un point de vue exportation et course. Or, si les chevaux franchissent les frontières sans vérification au sein de l’UE, le Brexit apporte de profonds changements à tous les niveaux en termes de démarche administrative et logistique qui complexifie les transports, l’élevage ou le recrutement de main-d’œuvre.
US :
Aux Etats-Unis, l’industrie hippique est d’autant plus complexe car il n’y a pas d’unicité dans les règles entre les États. Cela impacte l’attractivité du produit et complexifie les processus pour les acteurs de l’industrie. Jim Gagliano, président du Jockey Club USA souligne que “Le défi auquel nous faisons face aux Etats-Unis, contrairement à la France où le sport est règlementé par un seul organisme, c’est que chaque état dans lequel il y a des courses, c’est à dire 38 états, a sa propre législation, sa propre autorité et sa propre responsabilité en matière de réglementation.”
De plus, le pays est très touché par l’image négative des courses : en effet, l’intérêt du public est décroissant en raison de scandale de dopage, de fouettage ou d’abatage des chevaux. En 2022, un article du média NBC News prend l’exemple des courses de lévriers qui ont presque pris fins aux États-Unis à la suite nombreuses préoccupations.
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