Jérôme Lestir, « Strategy and Operating Manager pour Arioneo » a été CEO Deputy du LOSC pendant plus de dix ans. Il a vécu l’arrivée de la data dans le football. Son expérience sur le sujet est d’autant plus intéressante qu’il est propriétaire d’une écurie de trotteurs LUCKY STAR, et peut donc témoigner également de l’arrivée de la data dans le milieu hippique et dresser une comparaison de l’accueil qu’elle a connu dans chaque secteur.
Dans le monde du football, l’arrivée de la data reçu un accueil mitigé dans un premier temps. En effet, changer une manière d’entraîner en y incluant des chiffres n’est pas simple. L’enjeu a été de comprendre comment profiter des milliers de données désormais disponibles pour compléter l’avis du coach sur les joueurs.
Aujourd’hui, le football ne peut plus se passer de data : de la préparation à l’après-match, tout est étudié avec soin afin de créer les meilleures stratégies pour la performance. L’autre argument est celui du médical : le suivi quotidien des données récoltées à l’entraînement permet de prévenir par exemple des blessures. Si la data était encore il y a vingt ans un simple avantage concurrentiel pour certains clubs, elle est aujourd’hui incontournable et fait partie intégrante des stratégies de tous les clubs. Par ailleurs, les entreprises fournissant de la data fleurissent et la présence des data analysts sur le bord du terrain est devenue commune.
Si les données sont si précieuses, c’est qu’elles permettent une meilleure compréhension des mécanismes de la performance et de la récupération. Les paris sportifs ont également été révolutionnés par l’arrivée de la data. En revanche, il ne s’agit pas d’une science absolue. Certains matchs statistiquement parfaits en termes de data ont été remportés par l’équipe annoncée perdante, tel a été le cas de l’Espagne lors des quarts de final de la Coupe du Monde de football en 2018. Dans le même temps, c’est grâce à l’analyse des données de ses joueurs que Didier Deschamps et son staff, dirigé par le Directeur de la Performance, Greg Dupont, est amené à leur faire un retour constructif et complet entre chaque match. Outre les données liées aux kilomètres parcourus, on peut citer les éléments liés aux ballons joués, aux passes réussies, aux gestes défensifs, de relance, passes et autres tirs. Ces données sont compilées et corrélées aux données moyennes enregistrées par matchs et par poste ou le résultat fut celui espéré. Lorsque tel n’est pas le cas, un recadrage s’impose, et une victoire suit.
La question reste alors entière : le monde des courses hippiques suivra-t-il le même chemin ? Voici l’analyse de Jérôme Lestir.
Pouvez-vous revenir sur votre carrière et sur la manière dont la data s’est immiscée dans votre parcours ?
J’ai commencé ma carrière au sein de l’agence Marketing, Groupe Sporfive en 1997 à l’aube de la première grande victoire de la France en Coupe Du Monde. J’ai passé 2 saisons au FC Nantes puis rejoint le club de Troyes, en tant que Directeur marketing et Commercial. A la suite de cette expérience j’ai rejoint le LOSC, qui était alors en L2, où nous avons eu la chance de pouvoir bâtir avec une petite équipe, ce club qui souffrait depuis de nombreuses années de la formidable réussite populaire de son voisin, le RC Lens. Nous sommes partis d’une page blanche et les résultats immédiats du groupe sportif de l’époque nous ont donné le « temps médiatique », celui que les clubs n’ont plus aujourd’hui par l’impatience de l’environnement, nécessaire à la construction d’un club d’envergure. Le club a participé à 7 années sur les 10 suivantes aux Coupes d’Europe, nous permettant ainsi de faire construire un stade multifonctionnel et couvert de 50 000 places, ainsi qu’un centre d’entrainement sur 40 hectares avec l’ambition recherchée de donner au club les actifs qui lui permettraient de faire face à des périodes plus instables à l’avenir.
Nous avons vu arriver la data dès le début des années 2000, et le LOSC a été l’un des premiers clubs en France à faire appel à des spécialistes, la société Niçoise Amisco qui appartient maintenant au géant mondial de la data par le sport, l’Américain STATS. À l’époque, nous n’avions que des données brutes, qui paraissent simples aujourd’hui mais que nous avions pourtant du mal à les interpréter : rythme cardiaque et récupération, vitesse, … mais la révolution était déjà lancée, car on voyait des choses, accompagnés par des entraîneurs qui avaient une vision assez empirique mais toutefois limitée de leurs métiers. Les entraîneurs de l’époque avaient souvent construit leurs connaissances sur du ressenti couplé à de l’expérience. La data a rapidement bousculé leurs certitudes. Les meilleurs ont su se remettre en question pour comprendre et avancer. Il faut noter que les choses ne furent pas simples et que la période d’éducation du marché fut longue et pénible. Le travail du préparateur physique gagna alors en crédibilité. L’organisation fut bouleversée et un nouveau profil apparut autour des terrains, le Data Scientist, qui ne portait encore aucun titre à l’époque.
La vraie révolution fut l’approche individuelle de la performance alors que la culture même du sport collectif était encore celle d’un groupe dont l’individu n’était qu’un rouage. En individualisant chaque préparation, sont apparus des éléments permettant de déceler des futures pathologies. L’EQUIMETRE d’Arioneo permet aujourd’hui ce genre de choses. Bien entendu, dans un premier temps ça a été très difficile parce que les entraineurs et les joueurs avaient le sentiment d’être épiés et jugés sur leurs savoirs faire et leur investissement. Ils se sont rapidement aperçus que l’outil leur permettait de réussir mieux en optimisant la charge d’entrainement. C’est d’abord l’entrainement de l’équipe qui a été décortiquée puis son comportement en match afin de corréler les données. Alors que nous comprenions mieux la préparation de notre propre groupe, nous avons, comme les autres clubs qui nous ont rapidement rejoints, appris à travailler et comprendre le comportement de nos adversaires.
C’est le même sujet aujourd’hui avec Arioneo qui est l’un des leaders mondiaux de la data à l’entrainement et qui est la mieux placée à s’intéresser aux courses.
Le sujet a aussi longtemps été sensible car relatif à la santé, mais la peur générale s’est dissipée lorsque le monde médical a commencé à exploiter les données. Nécessairement lorsqu’une technologie pareille arrive dans ce genre de secteur d’activité cela génère de fortes tensions qui disparaissent au moment où les données sont comprises par tous, ce qui prend du temps et représente un travail phénoménal.
Les premiers clubs en Europe à s’y être intéressés ce sont les Anglais. Mais bien entendu, ce sont les Américains qui avaient devancé tout le monde depuis bien longtemps en NBA et en LNB dont le sujet est traité avec force par le film « Le Stratège » avec Brad Pitt.
En 2005 je pense qu’on peut dire que tous les clubs ambitieux de ligue 1 étaient équipés.
Quelle est votre expérience des courses hippiques ?
Mon expérience dans les courses est celle d’un petit propriétaire. J’ai commencé par le galop puis nous avons créé avec 2 amis une écurie de courses de trotteurs. C’est une belle aventure que je conseille à tous ceux qui veulent vivre des émotions fortes entre amis. Il faut noter cependant que l’expérience peut être difficile à assumer pour ceux qui aiment rationnaliser les choses. La rentabilité est difficile parce que la compréhension du cheval athlète est encore limitée à ce que je décrivais précédemment dans le football au début des années 2000.
Lorsque j’ai appris que Erwan Mellerio et Valentin Rapin cherchaient des partenaires à leurs côtés, je n’ai pas hésité à les rejoindre. L’idée même de pouvoir « faire parler » le cheval athlète comme le font les spécialistes du sport m’a tout de suite convaincu de les suivre.
Aujourd’hui Arioneo monitore plus de 4000 chevaux au quotidien auprès d’une centaine d’entraineurs et vétérinaires dans le monde.
Les données obtenues commencent à révéler des choses formidables pour les propriétaires, les entraineurs, les institutions, les vétérinaires ou encore les parieurs.
Cette démarche s’inscrit aussi dans une époque qui a compris que le respect de l’animal devait faire partie du quotidien de la filière. C’est une raison forte pour laquelle j’ai décidé de m’investir aux côtes des fondateurs d’Arioneo.
Considérez-vous que la transition vers la data sera plus ou moins rapide dans le milieu des courses que dans le football ?
Dans le monde du football, en cinq ans les data sont devenues indispensables. C’est ce que nous vivons dans les courses puisque Arioneo a été créée en 2015. La route est longue pour vaincre les nombreuses résistances. Dans le milieu hippique les traditions sont ancrées et difficiles à faire évoluer. Les jeunes générations d’entraîneurs qui prennent le pouvoir ont un regard attentif sur ces sujets.
Nous pouvons être optimistes et ma conviction est renforcée par la période difficile que nous venons de vivre, puisque les entraineurs, pour rester attractifs, ont besoin de mieux communiquer auprès de leurs propriétaires.
Il faudra en revanche une précision importante sur ce que la donnée devra raconter. La donnée doit être mâchée, prête à être utilisée. Nous l’avons ressenti dans le football. S’il faut habilement amener l’information et les clés pour l’analyser, en revanche, la donnée doit accompagner et non pas remplacer la décision finale de l’entraîneur. C’est toujours l’entraîneur qui prend la décision finale concernant l’entraînement, la programmation. Son savoir-faire en la matière est irremplaçable.
Par ailleurs, si le secteur du pari hippique veut se renouveler et attirer les jeunes générations, il va falloir là encore donner de la data nouvelle aux jeunes générations. Aujourd’hui, sur les sites de pari dans le sport, la donnée qui n’est pas non plus exceptionnelle, est cependant bien présente avec une avance de taille sur les courses alors que les paris sportifs sont plus récents : un néophyte est capable de se faire un avis sur son pari sportif, mais un néophyte qui souhaite parier dans les courses, n’a pas assez d’information pour moi et c’est surtout la même depuis toujours.
Le monde des courses hippiques en arrivera-t-il au même stade d’usage des data que le football ?
De toute évidence, oui. Il y a une réelle nécessité d’individualiser les performances et de considérer chaque cheval comme un individu unique et surtout comme un athlète. C’est l’un des gros enjeux de la filière. Faire des courses un spectacle sportif et non plus seulement un moyen pour parier. La production du spectacle, sa médiatisation, l’approche de ses acteurs doit être revue et le football peut être un exemple, au moins sur ce sujet.
Pourquoi y a-t-il une réticence à insérer de la technologie dans le secteur des chevaux de course selon vous ?
Je pense que la transparence fait peur, parce qu’elle apparaît comme un moyen de remettre en question le travail de nombreux acteurs de la filière. C’est pourtant le contraire qui se passe. La data permet une optimisation des résultats et une meilleure communication vis à vis des propriétaires.
L’idée à terme est également d’extraire de la data pour les parieurs. Cela présente encore un défi, même dans le football, où les grands acteurs du monde du pari et ceux du monde de l’entraînement connecté, ne communiquent pas assez entre eux pour créer des supports pour les parieurs.
Quelles sont les limites de la data dans le sport ?
Tout cela est encore tellement nouveau, les données sont si nombreuses et encore difficilement hiérarchisables, les métiers d’analyse sont encore en train de s’inventer. C’est aussi très riche car certains entraîneurs regardent une donnée, d’autres un autre paramètre, et tout l’écosystème s’enrichit par ces échanges sur les manières d’analyser les données. Mais une surdose d’information peut nuire à tout ce business car ceux à qui les données s’adressent ne les comprennent pas immédiatement et ceux qui la vendent ne savent pas nécessairement bien l’appréhender. Pour surmonter cette impasse, l’entreprise doit tenter de simplifier au maximum le discours. Ce sont les entreprises qui parviendront à s’adresser à leur public sans les perdre, qui remporteront la mise.
Pour moi, nous sommes dans les courses encore dans l’attente des data analysts qui seront au bord des pistes comme nous l’avons vu dans le foot au bord des terrains. Peut-être des anciens entraîneurs qui se spécialiseront dans ce secteur, peut-être plus des techniciens, ou bien les consultants TV, je suis encore assez indécis quand j’essaie de répondre à la question : Qui seront les personnes capables de s’investir dans ces métiers d’analyse des chevaux de course ? Qui seront les personnes capables de devenir des experts dans ce domaine, en ayant l’habileté de simplifier la donnée pour la rendre intelligible ?
Comment voyez-vous l’avenir d’Arioneo ?
Je suis forcément très optimiste sur le futur de cette entreprise, les dernières promesses engagées à travers le monde sont très encourageantes ! Arioneo s’ancre dans une période où le milieu des courses hippiques tout entier va devoir se réinventer.
Les paris baissent, la moyenne d’âge des parieurs augmente, la concurrence des sports s’intensifie, et c’est tout un système qui doit se réinventer.
Aujourd’hui l’outil Equimetre a pris un temps d’avance sur ses concurrents : de l’entraîneur au parieur, en passant par les institutions, les maisons de vente, les vétérinaires, je pense que le produit peut satisfaire toutes les attentes. Aujourd’hui je pense qu’Arioneo a un temps d’avance important sur ses concurrents Japonais, Australiens et Anglais sur la santé grâce à son brevet sur ses électrodes d’une précision médicale, qui permettent d’obtenir un électrocardiogramme à l’effort et à pleine vitesse, mais son avance est aussi à mon sens sur l’optimisation de la performance à l’entrainement.
L’enjeu d’après c’est le betting, que toutes ces données, une fois corrélées aux courses, vont forcément révolutionner.